L’art délicat de restaurer un pont couvert patrimonial

Que le pont couvert Félix-Gabriel-Marchand, en Outaouais, fasse l’objet de travaux de réparation n’est pas nouveau. C’est arrivé à plusieurs reprises au cours des 125 ans d’histoire de cet ouvrage patrimonial qui a notamment été « sauvé » de la démolition en 1964, à la suite d’une mobilisation populaire. La plus récente restauration pilotée par CIMA+ a cependant représenté un défi de taille – et une occasion en or pour la firme de faire preuve d’innovation.

Construit en 1898, le pont Rouge de Fort-Coulonge, surnommé ainsi en référence à la couleur sang-de-bœuf de son revêtement, fait la fierté des habitants du Pontiac. Et pour cause : avec sa longueur totale de quelque 152 m, il revendique le titre du plus long pont couvert dans la province de Québec et du deuxième plus long routier du MONDE! De plus, il est doté d’une première structure en bois à treillis de type Town doublée d’une seconde à poinçon double, également en bois. C’est cette configuration unique en son genre au Québec qui a fait sourciller CIMA+ lors d’une inspection réalisée en 2014.

 

 

« Nous avions alors constaté des défauts majeurs inquiétants qui, combinés à la réduction des dimensions des piles lors de travaux passés, s’étaient traduits, au fil du temps, par une diminution de la capacité du pont ainsi que par l’apparition d’autres défauts de comportement », raconte Pascal Beauséjour, associé et chargé de projet principal en structures et ponts chez CIMA+. Imaginez : il est alors possible de constater des déformations verticales de la structure pouvant atteindre l’ordre de 200 mm. « Cela excède de plusieurs fois les règles de l’art », précise-t-il.

À la suite de la fermeture complète du pont, Pascal Beauséjour et ses collègues s’attellent aux relevés, concepts et calculs en vue de la préparation des plans et devis requis pour sa restauration. Une tâche colossale qui nécessite de déconstruire certaines sections déformées ou endommagées et de redresser la structure tant verticalement qu’horizontalement. Et ce, tout en respectant le caractère patrimonial de l’ouvrage et les dimensions des pièces d’autrefois. « C’est la première fois qu’on nous confiait la préparation des plans et devis pour un tel pont couvert. On essayait de faire fonctionner des choses qui ne fonctionnent plus, notamment en regard des codes en vigueur aujourd’hui et des nouvelles contraintes de ce pont issues des modifications réalisées au cours des décennies », se souvient l’ingénieur.

Impressionnantes vis d’ingénierie

La première étape a été de faire appel à l’équipe de relevés, capture de la réalité et design et construction virtuels de CIMA+ pour réaliser une numérisation tridimensionnelle du pont Félix-Gabriel-Marchand. « On a utilisé un scanneur laser portable d’une vitesse de captation d’environ un million de points par seconde et d’une portée réelle de 60 m. C’est un peu comme de l’arpentage automatisé », indique Pascal Beauséjour. « On crée une maquette virtuelle complète en 3D à partir de laquelle on peut construire un modèle structural qui permet de réaliser des simulations et des analyses. »

Cette modélisation tridimensionnelle a ensuite ouvert la porte à des réparations et des renforcements structuraux importants. Or, encore fallait-il s’assurer au préalable de pouvoir travailler en toute sécurité sur un ouvrage si endommagé, voire instable! La solution retenue est pour le moins originale : construire un pont temporaire dans le pont. « Pour ce faire, un support temporaire préfabriqué de type Bailey [en acier] a été introduit à l’intérieur de la totalité du pont. Cela a réduit les risques pendant la durée des travaux, tant pour les travailleurs à l’œuvre que pour l’ouvrage patrimonial, qu’on ne pouvait pas se permettre d’affaiblir davantage », explique Pascal Beauséjour.

La solution retenue pour consolider l’ossature du pont a été de recourir à de discrètes vis d’ingénierie de quelque 600 mm de longueur fabriquées en Allemagne et, jusque-là, méconnues au Canada. « Les connecteurs conventionnels rendaient impossible la réfection de connexions par endroits. Nous nous sommes donc tournés vers ces vis qui, sans augmenter la capacité des connexions [entre les pièces], permettent aux tiges et aux boulons filetés d’atteindre leur pleine capacité en donnant de la ductilité à l’assemblage de bois », analyse Pascal Beauséjour. Il s’agit ni plus ni moins de créer, grâce à elles, du « bois armé » qui limite le développement de fissures autour des boulons. L’ajout de telles vis permet d’augmenter la capacité de la structure renforcée par un facteur de l’ordre de dix… Oui, 1000%! Un fournisseur canadien distribue maintenant depuis près de dix ans en Amérique du Nord ces vis d’ingénierie pouvant atteindre 1 500 mm de long.

Cette approche novatrice a permis la réouverture du pont Félix-Gabriel-Marchand en décembre 2021, au grand bonheur des communautés qu’il relie. L’entrepreneur a récemment terminé sa vérification contractuelle de tous les assemblages, et l’ossature se comporte à merveille. « La Tour CN est à Toronto ce que ce pont est aux municipalités de Mansfield-et-Pontefract et de Fort-Coulonge! », s’exclame Pascal Beauséjour en riant. Le ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec (auparavant nommé ministère des Transports) ne tarit pas d’éloges pour CIMA+, dont il avait mandaté les services. « C’est la première fois que le Ministère utilisait ces vis dans le cadre d’un de ses projets de réfection. Il est dorénavant question d’y recourir pour d’autres projets en bois d’œuvre », conclut l’expert.

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