Renforcer un pont avec audace

La fermeture précipitée du pont des Piles a donné le ton : le renforcement de cet important lien autoroutier de la Mauricie devrait se faire dans l’urgence et demanderait aux acteurs impliqués d’innover. Un défi qu’a relevé haut la main CIMA+, engagée pour imaginer une manière de consolider le pont actuel avant de construire celui appelé à le remplacer.

Près de 12 000 véhicules passent chaque jour sur le pont des Piles, situé à la jonction de l’autoroute 55 et de la route 155. Cette infrastructure névralgique construite en 1978 est suivie de près par le ministère des Transports du Québec, qui l’a notamment dotée de capteurs au fil du temps. En février 2022, la mauvaise nouvelle tombe : le pont doit fermer de manière préventive en raison d’un état de dégradation du tablier plus important et rapide que ce qui était anticipé. Des travaux de conception de renforcements visant à augmenter la capacité du pont à soutenir des charges s’entament aussitôt.

« Comme plusieurs ponts au Québec, les fondants finissent par faire leur œuvre et par endommager la structure. Dans ce cas-ci, comme la dalle est structurale, sa corrosion entraîne un important problème de capacité portante », analyse François Paradis, associé et directeur principal chez CIMA+. Le pont des Piles est un ouvrage à une seule poutre-caisson en béton précontraint par post-tension et construit par encorbellement. Il faut aussi noter que la dalle contient une quantité considérable de barres de post-tension qui se sont dégradées au fil du temps. C’est la plus longue structure de ce type – près de 300 mètres – au Québec.

Avec son équipe, François Paradis est responsable de soumettre un concept pour renforcer la structure du pont des Piles. « Nous avions déjà le mandat de construire un nouveau pont qui sera situé en aval de l’existant », précise l’ingénieur. Le détail n’est pas anodin. La démolition sécuritaire d’un pont d’une telle envergure et présentant un état d’endommagement considérable exigera de toute façon de le renforcer au préalable. « Nous avons élaboré notre concept de renforcement en fonction de cette réalité. Ce mandat et ces travaux revêtaient donc une importance stratégique », raconte-t-il.

Un concept peu commun

L’idée retenue consiste à « transformer » le pont en un pont à haubans, c’est-à-dire à construire des pylônes et des haubans afin de venir supporter le tablier du pont des Piles à différents endroits. De tous les concepts évalués, c’est le seul qui permet à la fois de suffisamment réduire les efforts dans l’infrastructure et de compenser les pertes de capacité à venir. Autrement dit, de garantir son intégrité actuelle et future. En outre, le concept assure que les travailleurs appelés à œuvrer à ce projet n’aient presque pas à s’aventurer sur le pont. « Quatre-vingt-quinze pour cent de l’ouvrage s’est fait à proximité de la structure plutôt que sur celle-ci, ce qui est moins risqué », estime François Paradis.

Deux caissons en acier remplis de béton font office de pylônes; ils sont construits à chaque extrémité de la structure. Des haubans (câbles) composés de 21 à 42 torons d’un diamètre d’environ 200 millimètres s’accrochent au sommet des pylônes, sur deux faces opposées. L’extrémité des câbles fixés sur une face des caissons orientée vers le centre du pont s’arrime au tablier, sur des poutres transversales en acier. L’extrémité des autres câbles, accrochés eux aussi au sommet des caissons, mais sur une paroi de ces structures d’acier qui fait face à la rive, est enfouie dans des massifs d’ancrage aménagés dans le roc sur chacune des rives. La structure de renfort totalise 596 torons.

« Les renforcements de ce type ne sont pas courants. À ma connaissance, nous sommes parmi les premiers dans le monde à procéder ainsi », souligne François Paradis. Cela est d’autant plus remarquable que les travaux ont été réalisés selon le modèle conception-construction. « Nous ajustions sans cesse la conception du projet en fonction des rétroactions que nos collaborateurs sur le terrain nous fournissaient, de la disponibilité des matériaux de construction et du coût de ces derniers », raconte celui qui a piloté une équipe composée de quatre ingénieurs et de deux techniciens.

Le défi a été relevé avec succès. Le pont des Piles est rouvert à la circulation depuis la fin août dernier, soit moins de sept mois après sa fermeture. C’est donc dire que le travail impeccable de CIMA+ a permis de devancer l’échéancier initial, et pas juste un peu. « Bien que déstabilisant par moments, ce fut un défi professionnel très intéressant et très stimulant à relever », conclut François Paradis, qui porte désormais son regard sur la construction du nouveau pont des Piles, un projet qui débutera cette année.

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